
Épisode 4 – Mission
Atenon gardait les yeux fermés tandis qu’une cacophonie bourdonnante martelait son crâne. Il avait l’impression de respirer bruyamment dans un râle étouffé ou un cri étranglé. Il devinait qu’il était allongé sur un matelas et pouvait sentir chacun de ses muscles, emplis de douleur, tétanisés.
Des gouttes tombaient régulièrement sur sa joue droite.
Le bruit dans sa tête diminua progressivement ne laissant que le silence et le ploc régulier du liquide qui frappaient son visage. Sa respiration redevint normale.
Maintenant il pouvait entendre un murmure… Quelqu’un chantait doucement : une mélodie fausse et dérangeante. Le chanteur semblait en proie à un immense tourment.
Atenon se concentra sur les paroles, gardant toujours les yeux fermés et crispés par peur de ce qu’il allait découvrir en les ouvrant :
Des ténèbres, il est venu laver nos péchés
De nos âmes égarées, de nos coeurs souillés
Affamé, Le Fléau est venu se repaître
De nos âmes égarées, de nos coeurs souillés
Nous avons failli devant le Maître
Et sa nemesis a répondu à notre appel
Que pourrais-je offrir ou abandonner ?
Ma peau, mes os pour sauver
Mon âme égarée et mon cœur souillé.
Un bruit de chaîne et un gémissement aigu finirent le couplet. Atenon ouvrit les yeux.
A quelques centimètres de lui, pendait un homme enchaîné. Son visage était arraché et du sang s'en écoulait lentement et tombait en grosses gouttes grasses sur la joue d’Atenon. Une odeur abject de déjection et de pourrissement lui rentrait dans les narines et lui donna la nausée. Il plongea son regard dans les orbites vides de la parodie d’être humain qui le surplombait. Une terreur sourde s’insinua en lui. Il se laissa tomber du lit, doucement. La créature reprit ses murmures et son chant.
Une fois au sol, Atenon se releva. Il était dans une chambre en haut d’une tour. Une cendre poisseuse tombait des murs et des plafonds en neige épaisse. Par la fenêtre, un incendie rouge vif couvrait le paysage.
Un cauchemar… ce n’est qu’un cauchemar..
Le chanteur suspendu remua et les chaînes plantées dans son dos déchirèrent un peu plus sa chair. Une ombre passa devant la fenêtre et fit sursauter l’archidiacre. Le mutilé reprit son chant plus fort et commença sérieusement à se débattre.
Atenon recula prudemment, angoissé, tout en gardant le suspendu en vue. A force de tâtonnements, il trouva une poignée de porte.
L’ombre repassa, des bruits d’ailes et des cris vinrent de l’extérieur.
Tu dois te réveiller…
Il ouvrit la porte, et se jeta dans un couloir. Haletant, il referma la porte et maintint la poignée quelques secondes. Un bruit de vitre brisé. Un cri. Des os qui craquent et le sang qui se répand.
Retourne toi !
Atenon fit volte face. Le couloir spiralait sur plusieurs mètres et finissait complètement à l’envers. Il remarqua alors les candélabres tout le long du chemin. Des troncs humains décharnés dépassaient des murs et tenaient des torches brûlantes. L’archidiacre fit un premier pas. Le sol trembla.
— Il est là !
— Il est venu pour nous !
— Le destructeur ! clamèrent des voix dans le couloir.
Atenon suivit la courbe du couloir, rapidement, et évita d’approcher des décharnés. Leurs visages étaient fondus en une masse de chair blanche sans orifice et ils suivaient mécaniquement le déplacement du religieux.
A mi-parcours, un fracas provoqua des cris spasmodiques aux créatures. Atenon se retourna, la porte qu’il avait empruntée avait éclaté. Dans l’encadrure, un chevalier en armure frappé du symbole de la Tour traînait le corps sanguinolent du chanteur de la chambre.
Cours !
Atenon se mit à courir aussi vite que son corps frêle le pouvait, pour fuir le Fléau. Il passa une autre porte à 2 battants et se retrouva sur le balcon d’une salle de bal.
Des corps sans vie et brûlés pendaient par centaines du plafond. Des oiseaux noirs picoraient la chair fumante des défunts. Des flammes lentes et rouges léchaient les murs de la salle. Une chaleur insupportable faisait transpirer à grosses gouttes le vieil homme paniqué.
Les corbeaux croassèrent. Le bruit assourdissant fit tomber Atenon à genoux. Il se boucha les oreilles d’instinct et leva la tête. Une corde lâcha dans un claquement et un corps tomba au sol, bientôt suivi des autres.
Le bruit cessa et les oiseaux s’enfuirent par une fenêtre. Des gémissements venus d’en bas attirèrent son regard. Les corps se relevèrent et commencèrent à marcher et monter les escaliers vers le balcon.
Hagard, le religieux chercha du regard une sortie. Il n’y avait que des portes fermées et impossible de déterminer sur quel nouvel enfer elles s’ouvraient. Les monstres se mirent à courir dans les escaliers, trébuchant et se marchant les uns sur les autres comme une horde désarticulée.
Sur la droite…..cours.
Atenon prit ses jambes à son cou et s’engagea sur la droite du grand balcon. Les morts qui couraient étaient sur ses talons. Leur peau craquelée tombait en poussière à chaque pas. Des membres tombaient sourdement au sol. Il se jeta sur la première porte et la referma en plaquant son épaule contre le battant. Un choc le fit reculer. La porte tint bon. Ils grattaient, frappaient et gémissaient.
Tu es arrivé…enfin.
Atenon sursauta et se retourna, le dos contre la porte.
Une chambre richement décorée s’étendait devant lui. Tableaux, tentures et tapisseries anciennes couvraient les hauts murs. Par les fenêtres, une mer bouillonnante plongeait vers l’horizon. Une ville en flammes bordaient des plages couvertes de sang. Des cris étouffés montaient des rues en ruines. Des cris d’effroi, d’agonie.
Un grand lit trônait au centre de la pièce. Une femme s’y tenait allongée, le teint cireux, livide. Un fantôme, songea Atenon.
A son chevet, une jeune fille priait à voix basse, le front contre les draps.
Les coups contre la porte stoppèrent soudainement et Atenon se força à réfléchir. Ces deux femmes, il les connaissait. Dans les traits de la morte, aucune ambiguïté, il reconnut Pérylé, Seigneure Kardia d’Octénia. Mais elle paraissait plus vieille que son souvenir.
Une lumière vive jaillit soudain de nulle part, à hauteur de ses yeux. Une clarté blanche et flottante dessina un corps brumeux. Une voix de fillette, douce, s’en échappa.
— Notre monde est mort. Meditia tout entier consumé par les flammes de la guerre et l'appétit vorace du Fléau.
— Je… je ne comprends pas, articula Atenon.
La lumière dériva vers les fenêtres.
— Le Fléau, répéta la voix. En ton temps, il est déjà là, un monstre parmi les hommes. Bientôt il contestera la parole divine et mènera la guerre sur Phaross.
— En mon temps ? Qui… qui êtes-vous ? Quand sommes-nous ? enchaîna Atenon, le souffle court.
— Il s’est passé tant d'années. Nous avons résisté, prié. Notre Dévotion n’était pas assez forte. Le Maître nous a abandonnés.
Atenon s’approcha de la fenêtre. Tout s’illumina alors : La femme de Kardia, vieillie et la jeune fille, probablement une des princesses. C’était donc le futur. Quelqu’un, ou quelque chose, voulait qu’il voit cet apocalypse. Il comprit, enfin. Tout s’emboitait logiquement, comme les engrenages d’une Horloge Sacrée. C’était un message, un message divin pour un Prophète. Il se tourna vers la lumière :
— Je comprends maintenant. Vous voulez que je prévienne mon époque ! Ramenez moi et je serai le prophète du Maître de Toutes Choses.
— Tu ne peux pas. Tu n’es rien. Pas assez fort.
Atenon n’allait pas laisser passer cette chance de servir son dieu de la plus noble des manières.
— Il n’y a pas plus Dévot que moi. Je traverserai Meditia pour trouver la force de confronter le Fléau. Donnez moi une chance, je ferai ce que vous voulez ! suppliqua le vieil homme en tombant à genoux.
Un silence lourd s'appesantit. Puis :
— Tant de possibilité…
La lumière vacilla.
Les pouvoirs du Maître ont besoin d’un vaisseau.
La lumière s’éteignit brusquement. Seule la rougeur des incendies baignait à nouveau la pièce.
Sur G’tie ….. les Souffles-Sables …… un rituel
Atenon se releva lentement, le cœur battant.
Les souffles-sables. Une légende tenace. Des hommes, disaient-on, capables de plier le désert à leur volonté.
Son regard glissa vers Pérylé Kardia. Si elle partait pour G’tie, comme le Seigneur le souhaitait… Alors le vaisseau était tout trouvé. Un sacrifice nécessaire. La sauvegarde de Meditia valait bien cela.
— J’accepte.
Il fit le tour du lit et posa une main ferme sur l’épaule de la jeune fille en larme. Elle leva la tête et fixa ses yeux embués sur l’archidiacre. Ses lèvres articulèrent un merci silencieux. Antonin répondit par un sourire. Le sommeil s’insinua dans son corps vieilli. Il ferma les yeux et se laissa aller, ses sens s'effacèrent pour ne laisser que le vide…
Lorsqu’il se réveilla, le Seigneur Kardia était penché au-dessus de lui. Le soleil baignait la chambre d’une lumière douce. Des oiseaux chantaient à l’extérieur. Atenon lui sourit.
— Tu m’as fait peur vieux briscard.
— Alessandr, dit Atenon d’un ton grave. Nous devons parler sérieusement …
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